Le vin japonais : entre reconnaissance internationale et défis locaux
- GO TO JAPAN
- 26 mars
- 5 min de lecture

Une année historique pour le vin japonais
L’année 2024 restera gravée dans l’histoire du vin japonais. En juin, la cuvée Tomi Koshu 2022 (登美甲州 2022) produite par Suntory Tomi no Oka Winery (サントリー登美の丘ワイナリー) a reçu le prix suprême "Best in Show" lors du prestigieux concours Decanter World Wine Awards (DWWA) à Londres. C’est une première pour un vin japonais, et un triomphe pour le cépage Koshu (甲州), reconnu comme variété indigène par l’OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin) depuis 2010.
Cette distinction marque un tournant pour le secteur : le vin japonais entre sur la scène mondiale, non plus comme une curiosité, mais comme un acteur crédible de la qualité.
Toutefois, cette reconnaissance internationale contraste encore avec une réalité locale marquée par des limites structurelles et des défis agronomiques majeurs.
Qu’est-ce que le “vin japonais” ?
Depuis 2018, une clarification réglementaire a permis de mieux distinguer deux types de production :
Le vin japonais (日本ワイン) : un vin élaboré au Japon à partir de raisins cultivés sur le sol japonais.
Le vin fabriqué au Japon (国内製造ワイン) : un vin produit localement à partir de moûts ou jus de raisin importés, souvent concentrés.
Ces deux catégories sont parfois regroupées sous l’appellation générale de vin domestique (国産ワイン), mais elles diffèrent fondamentalement par leur qualité, leur traçabilité et leur perception par les consommateurs. Seul le vin japonais au sens strict reflète véritablement un terroir local et un savoir-faire viticole national.
Une consommation stable, une production fragmentée
Selon les données de la National Tax Agency (国税庁), la consommation de vin au Japon a atteint 363 000 kilolitres en 2023, se maintenant à un niveau relativement stable depuis 2015. Pourtant, le vin japonais au sens strict (c'est-à-dire produit à partir de raisins cultivés au Japon) ne représente qu’environ 4 % de cette consommation.
En parallèle, le nombre de wineries (ワイナリー) est passé de 280 en 2015 à 493 en 2024, signe d’un véritable engouement entrepreneurial. Ces nouveaux producteurs sont pour la plupart de petites structures, portées par une vision artisanale et régionale du vin. Mais l’offre peine à suivre une demande en quête de repères identitaires.
Le Japon se classe pourtant 16ème pays consommateur de vin au monde et 2ème en Asie après la Chine. La demande existe donc, mais elle ne se tourne pas encore massivement vers la production nationale.

La difficile culture du raisin à vin au Japon
La clé de cette situation paradoxale réside dans la structure agricole japonaise. Le raisin cultivé au Japon est majoritairement destiné à la consommation en frais. Des variétés comme le Shine Muscat (シャインマスカット) ou le Kyoho (巨峰) sont très réputées et génèrent des revenus bien plus élevés que les raisins destinés à la vinification.
Par exemple, le Shine Muscat peut atteindre 1 587 yens/kg (environ 9,50 €), contre moins de 300 yens/kg (environ 1,80 €) pour des raisins à vin. De plus, les rendements sont inférieurs : environ 60 % de ceux du raisin de table.
Cette situation rend peu attractif l'investissement dans la viticulture à vin, surtout pour les jeunes agriculteurs. En résultat, les wineries dépendent à 80 % de raisins achetés (souvent par contrat), et seulement 18 % des volumes proviennent de vignobles en propriété.
Dans un pays où l’âge moyen des agriculteurs dépasse les 69 ans, cette situation interroge la viabilité à long terme de l’offre en raisins vinifiables.

Le vin orange japonais : traditions revisitées
Face à ces contraintes, certains vignerons explorent de nouvelles voies. C’est le cas du vin orange (オレンジワイン), une catégorie de vin blanc vinifié avec macération pelliculaire, c’est-à-dire fermenté avec les peaux, comme un vin rouge.
Le pionnier de ce mouvement au Japon est Tsuyoshi Kobayashi (小林 剛), alias "Tsuyopom (つよぽん)", ancien designer devenu vigneron dans la région de Yamanashi (山梨県). Il a lancé en 2017 son premier Koshu Orange (甲州オレンジ), issu du cépage local Koshu (甲州). La peau épaisse et les arômes délicats du Koshu se prêtent bien à cette technique inspirée du Caucase.
La production reste très confidentielle : seuls quelques domaines au Japon, principalement à Yamanashi (山梨県), Nagano (長野県) et Hokkaidō (北海道), s’y risquent. Les savoir-faire sont encore en construction, les coûts élevés, mais ces expérimentations illustrent une volonté d’innover en respectant le terroir.
Le vin orange japonais pourrait devenir une signature à part entière, entre modernité, minimalisme et réinterprétation des traditions.
Yamanashi : modèle de développement local
Pour relever les défis structurels du secteur, certaines régions prennent les devants. La préfecture de Yamanashi (山梨県), berceau historique du vin japonais, a mis en place des programmes de soutien ambitieux :
Subventions pour la plantation de cépages à vin,
Création d’espaces de mise en relation entre vignerons et producteurs,
Initiatives touristiques comme le centre "Budo no Oka (ぶどうの丘)" de Kōshū (甲州市), qui regroupe plus de 100 références locales.
Aujourd’hui, Yamanashi compte 89 wineries, soit le plus grand nombre du pays. La coopération entre autorités locales, entreprises et agriculteurs y constitue un modèle de développement territorial durable.

Conclusion : un avenir à cultiver
De jeunes maisons comme Domaine Hide, fondée en 2010 par la société Showple, montrent que la relève est bien là. En alliant pratiques écologiques (compost de marc de raisin, charbon de sarments) et outils digitaux (crowdfunding, communication web), ces vignerons engagés prouvent que le Japon peut faire émerger un modèle viticole propre, ancré dans le local et ouvert sur le monde.
Le Japon ne rivalisera jamais avec les géants viticoles en volume, mais il peut devenir une référence en qualité, originalité et durabilité. Pour cela, plusieurs leviers doivent être activés :
Investir dans la culture de cépages destinés à la vinification,
Former et accompagner la relève agricole,
Créer des passerelles entre tourisme, vin et culture locale,
Et surtout, continuer à raconter l’histoire de ce vin rare, délicat, enraciné dans une tradition millénaire et porté par l’innovation.
Le vin japonais est encore jeune, mais il séduit déjà par sa singularité et sa sincérité. Il incarne une vision artisanale, responsable et profondément japonaise du vin — parfaitement en phase avec les attentes contemporaines.
Domaines viticoles japonais à découvrir
Suntory Tomi no Oka Winery (登美の丘ワイナリー) – Yamanashi
Récompensé en 2024 au DWWA. Cépage emblématique : Koshu.
Château Mercian – Katsunuma, Yamanashi
Un des pionniers du vin japonais moderne. Propose des visites et dégustations.
Domaine Hide – Yamanashi
Site : https://domainehide.com/
Petit domaine engagé dans l’agriculture durable et l’innovation.
Takeda Winery – Yamagata
Tradition et respect du terroir. Célèbre pour son Pinot Noir.
Produits emblématiques
Tomi Koshu 2022 (Suntory)
Cépage : Koshu (blanc, autochtone japonais)
Profil : Sec, minéral, notes d’agrumes et de poire
Récompense : Best in Show – DWWA 2024
Château Mercian Mariko Vineyard Omnis
Assemblage rouge complexe (Merlot, Cabernet Sauvignon…)
Vieilli en fût de chêne, très prisé des sommeliers
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